Développement   

 

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EXERCICE 79, UNITÉ IV
3.2. Présenter le point de vue définitif


CONSIGNE
Dans les extraits suivants, Durkheim introduit avec
en définitive ce qu'il considère comme la bonne interprétation du phénomène qu'il présente. Précisez ce qu'il remet en cause et ce qu'il considère comme juste.



1. […] on peut être assez bon maître, tout en étant peu propre aux spéculations pédagogiques. Inversement, le pédagogue peut manquer de toute habileté pratique. Nous n'aurions volontiers confié une classe ni à Montaigne ni à Rousseau, et les échecs répétés de Pestalozzi prouvent qu'il ne possédait qu'incomplètement l'art de l'éducation. La pédagogie est donc quelque chose d'intermédiaire entre l'art et la science. Elle n'est pas l'art, car elle n'est pas un système de pratiques organisées, mais d'idées relatives à ces pratiques. Elle est un ensemble de théories. Par là, elle se rapproche de la science. Seulement, tandis que les théories scientifiques ont pour but unique d'exprimer le réel, les théories pédagogiques ont pour objet immédiat de guider la conduite. Si elles ne sont pas l'action elle-même, elles y préparent et en sont toutes proches. C'est dans l'action qu'est leur raison d'être. C'est cette nature mixte que j'essayais d'exprimer, en disant qu'elle est une théorie pratique. Par là se trouve déterminée la nature des services qu'on en peut attendre. Elle n'est pas la pratique, et, par conséquent, elle n'en peut dispenser. Mais elle peut l'éclairer. Elle est donc utile dans la mesure où la réflexion est utile à l'expérience professionnelle. Si elle excède les limites de son domaine légitime, si elle entend se substituer à l'expérience, édicter des recettes toutes faites que le praticien n'aura qu'à appliquer mécaniquement, elle dégénère en constructions arbitraires. Mais, d'un autre côté, si l'expérience se passe de toute réflexion pédagogique, elle dégénère à son tour en routine aveugle, ou bien elle se met à la remorque d'une réflexion mal informée et sans méthode. Car la pédagogie, en définitive, n'est pas autre chose que la réflexion la plus méthodique et la mieux documentée possible, mise au service de la pratique de l'enseignement. (1)



2. L'Etat est actuellement le groupe humain organisé le plus élevé qui existe, et, s'il est permis de croire qu'il se formera dans l'avenir des Etats plus vastes encore que ceux d'aujourd'hui, rien n'autorise à supposer que jamais un Etat se constituera qui comprenne en lui l'humanité tout entière. En tout cas, un tel idéal est tellement lointain qu'il n'y a pas lieu d'en tenir compte aujourd'hui. Or, il paraît impossible de subordonner et de sacrifier un groupe qui existe, qui est dès à présent une réalité vivante, à un groupe qui n'est encore, et qui, très probablement, ne sera jamais qu'un être de raison. D'après ce que nous avons dit, la conduite n'est morale que quand elle a pour fin une société ayant sa physionomie propre et sa personnalité. Comment l'humanité pourrait-elle avoir ce caractère et remplir ce rôle, puisqu'elle n'est pas un groupe constitué ? Il semble donc que nous soyons en présence d'une véritable antinomie. D'une part, nous ne pouvons pas nous empêcher de concevoir des fins morales plus hautes que les fins nationales ; d'autre part, il ne semble pas possible que ces fins plus hautes puissent prendre corps dans un groupe humain qui leur soit parfaitement adéquat. Le seul moyen de résoudre cette difficulté, qui tourmente notre conscience publique, c'est de demander la réalisation de cet idéal humain aux groupes les plus élevés que nous connaissions, à ceux qui sont les plus proches de l'humanité, sans pourtant se confondre avec elle, c'est-à-dire aux Etats particuliers. Pour que toute contradiction disparaisse, pour que toutes les exigences de notre conscience morale soient satisfaites, il suffit que l'Etat se donne comme principal objectif, non de s'étendre matériellement au détriment de ses voisins, non d'être plus fort qu'eux, plus riche qu'eux, mais de réaliser dans son sein les intérêts généraux de l'humanité, c'est-à-dire d'y faire régner plus de justice, une plus haute moralité, de s'organiser de manière à ce qu'il y ait un rapport toujours plus exact entre les mérites des citoyens et leur condition, et à ce que les souffrances des individus soient adoucies ou prévenues. De ce point de vue, toute rivalité disparaît entre les différents Etats ; et, par suite, aussi, toute antinomie entre cosmopolitisme et patriotisme. En définitive, tout dépend de la façon dont le patriotisme est conçu, car il peut prendre deux formes très différentes. Tantôt il est centrifuge, si l'on peut ainsi parler, il oriente l'activité nationale vers le dehors, stimule les Etats à empiéter les uns sur les autres, à s'exclure mutuellement ; alors il les met en conflit, et il met du même coup en conflit les sentiments nationaux et, les sentiments de l'humanité. Ou bien, au contraire, il se tourne tout entier vers le dedans, s'attache à améliorer la vie intérieure de la société ; et, alors, il fait communier dans une même fin tous les Etats parvenus au même degré de développement moral. Le premier est agressif, militaire ; le second est scientifique, artistique, industriel, en un mot, essentiellement pacifique. (1)



3. Tout organisme est formé d'un même élément qui se répète un nombre plus ou moins considérable de fois : c'est la cellule. Il semble donc qu'ici nous atteignons directement quelque chose de simple. Or, il est facile de faire voir que cette simplicité n'est qu'apparente. Rien n'est complexe comme la cellule ; car toute la vie y est en raccourci. La cellule, en effet, travaille, réagit aux excitations extérieures, produit des mouvements, assimile et désassimile, en un mot se nourrit, s'accroît par suite de la nutrition et se reproduit, tout comme les êtres vivants les plus hautement développés. Et la complexité confuse de toutes ces fonctions, de toutes ces formes d'activité étroitement impliquées les unes dans les autres, étroitement associées dans ce petit espace, sans qu'on puisse assigner à chacune un siège, un organe distinct, si bien que chacune paraît être à la fois partout et nulle part, cette complexité est peut-être de nature à frapper plus vivement l'esprit que celle que l'on observe dans des organes pleinement différenciés comme ceux des animaux supérieurs. Et il n'est même pas impossible d'aller plus loin, et de tirer de cette même considération un enseignement plus instructif. Cette petite masse vivante n'est faite en définitive que d'éléments non vivants, d'atomes d'hydrogène, d'oxygène, d'azote et de carbone. Ainsi, des parties qui ne vivent pas peuvent, en se combinant, en se rapprochant, en s'associant, manifester tout à coup des propriétés tout à fait nouvelles, celles qui caractérisent la vie. Voilà qui fera comprendre à l'enfant (et l'enfant peut comprendre tout cela), qu'en un sens un tout n'est pas identique à la somme de ses parties, et voilà qui l'acheminera à comprendre que la société n'est pas simplement la somme des individus qui la composent. (1)



4. Alors même que les êtres que nous représente l'artiste sont directement empruntés à la réalité, ce n'est pas leur réalité qui fait leur beauté. Peu nous importe que ce paysage ait existé ici ou là, qu'un personnage dramatique ait vécu dans l'histoire. Ce n'est pas parce qu'il est historique, que nous l'admirons au théâtre, c'est parce qu'il est beau : et notre émotion ne serait en rien diminuée, s'il était tout entier le produit d'une fiction poétique. Même, on a pu dire justement que, quand l'illusion est trop complète et nous fait prendre pour réelle la scène que figure l'artiste, le plaisir du beau s'évanouit. Assurément, si les hommes ou les choses, qui sont ainsi mis sous nos yeux, étaient d'une invraisemblance notoire, l'esprit ne pourrait pas s'y intéresser ; par suite, l'émotion esthétique ne pourrait pas naître. Mais, tout ce qu'il faut, c'est que leur irréalité ne soit pas trop criante ; c'est qu'ils ne nous apparaissent pas comme trop manifestement impossibles. Et, encore, ne saurait-on dire à partir de quel moment, de quel point précis l'invraisemblable devient trop évident et trop choquant pour ne pouvoir être toléré. Que de fois le poète nous fait accepter des thèmes scientifiquement absurdes, et que nous savons tels ! Nous nous faisons volontiers complices d'erreurs dont nous avons conscience, pour ne pas gâter notre plaisir. En définitive, il n'y a pas, pour l'artiste, de lois de la nature ni de lois de l'histoire, qui doivent être, toujours et en toutes circonstances, nécessairement respectées. Ce qui explique ce caractère de l'œuvre de l'art, c'est que les états intérieurs qu'elle traduit et qu'elle communique ne sont ni des sensations, ni des conceptions, mais des images. L'impression artistique vient de la façon dont l'artiste affecte, non pas nos sens, non pas notre entendement, mais notre imagination. (1)



5. On parle quelquefois de l'instinct de conservation ; mais l'expression est impropre. Car un instinct c'est un système de mouvements déterminés, toujours les mêmes, qui, une fois qu'ils sont déclenchés par la sensation, s'enchaînent automatiquement les uns aux autres jusqu'à ce qu'ils arrivent à leur terme naturel, sans que la réflexion ait nulle part à intervenir ; or, les mouvements que nous faisons quand notre vie est en danger n'ont nullement cette détermination et cette invariabilité automatique. Ils changent suivant les situations ; nous les approprions aux circonstances : c'est donc qu'ils ne vont pas sans un certain choix conscient, quoique rapide. Ce qu'on nomme instinct de conservation n'est, en définitive, qu'une impulsion générale à fuir la mort, sans que les moyens par lesquels nous cherchons à l'éviter soient prédéterminés une fois pour toutes. On en peut dire autant de ce qu'on appelle parfois, non moins inexactement, l'instinct maternel, l'instinct paternel, et même l'instinct sexuel. Ce sont des poussées dans une direction ; mais les moyens par lesquels ces poussées s'actualisent changent d'un individu à l'autre, d'une occasion à l'autre. Une large place reste donc réservée aux tâtonnements, aux accommodations personnelles, et, par conséquent, à l'action de causes qui ne peuvent faire sentir leur influence qu'après la naissance.



(1) Durkheim E., 1903, L'éducation morale.
(2) Durkheim E., 1922, Éducation et sociologie.





 
 
 

 

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