| EXERCICE 31, UNITÉ III 2.2. Conclure
CONSIGNE Précisez pour chacune des occurrences de donc, s'il s'agit de : - donc conclusif servant à introduire la conclusion que l'on peut tirer de ce que l'on vient d'exposer ; - donc récapitulatif servant à introduire la reprise de ce qui vient d'être exposé.
1. Notre hypothèse de travail est que « le modèle national d'activité féminine » ne résulte ni simplement d'un choix fondé sur le calcul coût-avantage au sein du ménage considéré comme un espace de capital, ni d'une culture nationale omnipotente, mais qu'il se construit sur une interaction entre les jeux d'acteurs stratégiques et la représentation de la famille cristallisée autour des politiques des pouvoirs publics. L'arbitrage au sein du ménage (division familiale du travail), qui n'exclut nullement le calcul, s'effectue donc dans un espace fortement structuré non seulement par la tradition culturelle (le modèle familial) mais aussi par les dispositifs étatiques qui, historiquement forgés, diffèrent fortement d'un pays à l'autre. (1)
2. La notion de population active […] reflète en partie la nécessité, pour chaque économie, de mesurer ses ressources en main-d'œuvre. De ce point de vue strictement quantitatif, le Japon dispose d'une main-d'œuvre deux fois et demie plus importante que la France. En outre, le Japon voit une part plus large de la population participer à la production des richesses nationales, notamment dans les tranches d'âge les plus avancées. De même, la mobilisation des ressources disponibles s'avère plus forte ou plus effective pour le Japon, compte tenu du taux de chômage moins élevé (il représente 14,2 % pour les femmes et 8,7 % pour les hommes en France contre respectivement 8 % et 2,1 % au Japon). Sur le plan macroéconomique, la France se caractérise donc par une certaine sous-utilisation du facteur travail qui crée une situation de pénurie d'emploi, alors que le Japon se situe quasiment au point d'équilibre, son chômage pouvant être considéré comme « naturel » ou « frictionnel » selon la norme internationale du BIT [Bureau International du Travail].
3. A l'autre extrémité de la vie active, les deux pays organisent deux modes différents de retrait de la vie professionnelle, malgré l'âge conventionnel de la retraite fixé à 60 ans. En France, une faible minorité seulement reste active au-delà de 60 ans (15 % des femmes et 18,9 % des hommes âgés de 60-64 ans). Cette tendance se renforce de plus en plus du fait que la crise conduit à multiplier les différentes formes de préretraite – qui ne signifient pas toujours retrait pur et simple du marché du travail – avant même l'âge de 60 ans. Au Japon, 45 % des femmes et 79 % des hommes sont encore en activité entre 60-64 ans. De nombreuses personnes âgées souhaitent retarder leur retraite définitive pour des raisons plus sociales ou éthiques qu'économiques, quitte à voir se détériorer leur statut sur le marché du travail. Cette présence déjà massive des salariés âgés devrait se renforcer encore dans l'avenir, puisque le gouvernement vient de prendre la décision de reculer progressivement l'âge de la retraite à 65 ans. Le contraste entre les deux pays risque donc de s'amplifier encore sur ce point. Ces fortes divergences, qui traversent les différentes étapes que constituent l'éducation, l'insertion, le retrait d'activité, ne sont évidemment pas dissociables de la façon dont chaque société pense les relations entre la création et la répartition des richesses et sa propre reproduction.
4. En France, l'activité professionnelle des mères connaît une relative constance, indépendamment des charges familiales, jusqu'à la naissance du troisième enfant qui précipite leur retrait d'activité. Cet événement familial, auquel est étroitement associée une politique familiale « nataliste », crée une très forte rupture. En revanche, les mères françaises maintiennent massivement leur activité jusqu'au deuxième enfant. Ce comportement, qu'il faudrait nuancer selon les niveaux de diplôme, n'est pas sans rapport avec l'existence de supports institutionnels destinés à soutenir les mères en activité. Il s'agit notamment du développement des crèches publiques et de la généralisation de la prise en charge des jeunes enfants par les écoles maternelles gratuites et accessibles à tous les enfants dès l'âge de 3 ans, qui scolarisent 94 % des enfants de 3 à 6 ans. Au Japon, le nombre d'enfants intervient peu, ou de façon paradoxale, dans la détermination des taux d'activité des mères. En effet, l'augmentation du nombre d'enfants incite davantage les mères à travailler, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des pays européens. En l'absence de politique familiale explicite, ce phénomène renvoie, semble-t-il, au « coût économique » élevé de l'enfant, faute de prise en charge suffisante par la collectivité, notamment en matière de frais d'éducation. C'est ainsi que le financement de l'éducation des enfants, à côté du remboursement des prêts immobiliers, devient l'une des premières raisons qui justifient la reprise de l'activité des femmes après une période d'interruption. En revanche, l'âge du dernier enfant est un facteur déterminant pour l'arrêt de leur activité, puisque seulement un peu plus d'un quart des mères japonaises ayant un très jeune enfant continuent à travailler. La présence d'un enfant de moins de 3 ans conduit une grande majorité de mères à renoncer à leur activité, sauf dans des conditions très favorables, comme la cohabitation de trois générations. Cet abandon systématique de l'activité professionnelle à la suite de la naissance de l'enfant, indépendamment du niveau de diplôme, est responsable de la chute des taux d'activité féminins entre 25 et 34 ans. Mais, elles reprennent leur activité au fur et à mesure que l'enfant grandit. Cette reprise est alors très bien corrélée avec les modes de garde des enfants. Selon l'estimation du ministère de l'Éducation nationale, moins de 10 % de jeunes enfants de 0 à 2 ans sont gardés à la crèche, rare et surtout très onéreuse. A l'âge de 3 ans, 22,6 % des enfants vont à « l'école maternelle », majoritairement privée et coûteuse, établissement qui ferme à 14 heures, et 28,9 % à la crèche municipale, ouverte jusqu'à 17 heures, mais dont l'accessibilité est soumise à un seuil de revenu des ménages. A l'âge de 4 ans, 56,4 % vont à l'école maternelle et 32,3 % à la crèche ; à 5 ans, 63,8 % vont à l'école maternelle et 31,3 % à la crèche. L'entrée à l'école obligatoire intervient à l'âge de 6 ans. Mais contrairement à la France, où les enfants restent à l'école au moins jusqu'à 16 heures 30, l'école au Japon se termine beaucoup plus tôt, à 13 heures 20 jusqu'à 8 ans et à 15 heures ensuite. Tout se passe donc comme si « les temps sociaux » des mères étaient fortement subordonnés aux temps liés aux modes de garde des enfants.
5. Toujours selon les mêmes sources statistiques, la France compte 2 390 000 salariés à temps partiel (12,8 % du salariat) dont 2 034 000 sont des femmes, alors que le Japon enregistre 5 967 000 salariés à temps partiel (11,3 % du salariat) dont 5 639 000 sont des femmes. Dans les deux pays, le travail à temps partiel est donc un phénomène largement féminin (85,1 % en France et 94,3 % au Japon).
6. Outre le mode de garde des jeunes enfants, qui incite les femmes à travailler en modulant le temps, plusieurs éléments de politiques sociales ou fiscales orientent la mise au travail des femmes à temps partiel : - Les systèmes fiscaux autorisent, dans le calcul d'imposition sur le revenu du ménage, à effectuer sur le revenu de l'épouse, considéré comme salaire d'appoint, une exonération complète jusqu'à hauteur de 1,03 million de yens. Ce seuil d'exonération, important compte tenu du niveau médian de revenu annuel brut des ménages qui s'élève à 5 millions de yens (1992), induit le comportement des épouses, les incitant à restreindre leur revenu – et donc l'offre de travail – clairement dans cette limite. - La plupart des conventions collectives permettent de faire bénéficier les ménages vivant en couple de « l'indemnité de femme au foyer », sorte d'allocation familiale versée par l'employeur qui représente en moyenne 12 000 à 20 000 yens (600 à 1000 francs) par mois, si le revenu de la conjointe ne dépasse pas un million de yens. - Le système de protection sociale exonère les épouses, dont le revenu annuel est inférieur à 1,3 million de yens, des cotisations sociales (maladie, retraite, chômage, etc.). Le statut de « dépendance » leur permet néanmoins de bénéficier, sans aucune contribution particulière, de la protection sociale de leur conjoint, même si le taux de couverture est légèrement inférieur. Dans le même temps, les employeurs ne sont pas tenus de verser les charges sociales (maladie, retraite) si les salariés travaillent à temps partiel (moins de trois quarts du temps) et gagnent moins de 1,3 million de yens par an. En outre, ils sont exonérés de la cotisation chômage, pour les salariés travaillant moins de 22 heures par semaine et gagnant moins de 900 000 yens par an.
Ces dispositifs sociaux et fiscaux favorisent donc, au Japon, une forme particulière de mise au travail des femmes mariées : le modèle de « femme au foyer » qui intervient secondairement dans l'activité salariée. Ceci contraste à la fois avec le modèle d'inactivité complète des épouses et avec le modèle d'activité continue encouragé en France. Ces politiques publiques catégorielles, conçues à l'origine comme protectrices en matière d'affaires familiales, contribuent paradoxalement à renforcer la ségrégation des femmes mariées par rapport aux autres salariés sur le marché du travail, et à marginaliser le travail à temps partiel dans lequel elles s'insèrent lors de la reprise de leur activité.
7. […] 56 % des Japonaises travaillant à temps partiel sont employées sous contrat à durée limitée – moins d'un an – contre 11 % dans le cas des Françaises. Outre la fragilité due à la nature même du contrat, ce type de contrat permet difficilement aux femmes mariées de bénéficier des mêmes droits et avantages (bonus, congés ou formation, etc.) que les salariés permanents, même si beaucoup d'entre elles tendent à travailler longtemps (26,8 heures par semaine en moyenne et 4,8 ans d'ancienneté). Une telle marginalisation est d'autant plus accentuée que le salaire minimum horaire – interprofessionnel mais différencié selon le département – est fixé à des niveaux bas, c'est-à-dire en moyenne à 35 % du salaire médian contre 61 % en France. A une grande majorité d'entre elles s'impose donc le taux local du salaire minimum, du fait que le manque de mobilité les cantonne souvent dans un emploi de proximité immédiate comme le commerce de détail ou les services.
8. Parallèlement à cet environnement professionnel peu motivant, les femmes rencontrent des difficultés d'ordre social ou familial dans la poursuite de leur activité, dès lors qu'elles se marient. Bien que le mariage ne constitue plus la cause principale de leur départ, beaucoup de femmes finissent par délaisser leur emploi aux âges de la maternité, autour de 30 ans. Ainsi, la tranche d'âge 30-34 ans constitue, pour la majorité des femmes, une véritable plaque tournante qui représente une transition de la vie active à plein-temps à la vie d'épouse, partagée entre les responsabilités familiales et l'activité professionnelle temporaire ou à temps partiel. Elles se replient, surtout entre 30-44 ans, à la marge du marché externe où elles restent néanmoins mobilisables, sous des formes d'emplois atypiques, au gré des fluctuations économiques ; les femmes japonaises de ces tranches d'âge connaissent une mobilité nettement plus dense que leurs homologues françaises. Seule une minorité d'entre elles continue à conserver leur emploi au sein du marché interne ; 22 % des femmes de 40-44 ans ont plus de 15 ans d'ancienneté, contre 67 % chez les hommes japonais de même âge, et 45 % chez les Françaises de même âge.
Ce choix de désengagement professionnel partiel que les femmes mariées sont souvent amenées à faire pour assumer la charge des enfants n'est pas incompatible, compte tenu de leurs environnements sociaux, avec le calcul économique rationnel du ménage. Selon certains sondages, il apparaît en outre assez largement approuvé par les intéressées elles-mêmes. Le statut « secondaire », associé au travail à temps partiel, s'avère donc globalement accepté, au nom de la conciliation famille/travail.
(1) Tous les passages sont extraits de Nohara H., 1999, « L'analyse sociétale des rapports entre les activités féminine et masculine : Comparaison France-Japon », Revue Française de Sociologie, vol. 40, n° 3.
|