| EXERCICE 11, UNITÉ III 1.3. Les marqueurs de cause à valeur explicative
CONSIGNE Précisez dans les extraits suivants : - la valeur explicative ou justificative des marqueurs soulignés ; - la valeur comparative ou non comparative de la phrase dans laquelle est employé chaque marqueur.
1. […] les interventions miraculeuses que les anciens prêtaient à leurs dieux n'étaient pas à leurs yeux des miracles, dans l'acception moderne du mot. C'étaient pour eux de beaux, de rares ou de terribles spectacles, objets de surprise et d'émerveillement mirabilia, miracula) ; mais ils n'y voyaient nullement des sortes d'échappées sur un monde mystérieux où la raison ne peut pénétrer. Nous pouvons d'autant mieux comprendre cette mentalité qu'elle n'a pas complètement disparu du milieu de nous. Si le principe du déterminisme est aujourd'hui solidement établi dans les sciences physiques et naturelles, il y a seulement un siècle qu'il a commencé à s'introduire dans les sciences sociales et son autorité y est encore contestée. (1)
2. . […] l'idéal pédagogique d'une époque exprime avant tout l'état de la société à l'époque considérée. Mais, pour que cet idéal devienne une réalité, encore faut-il y conformer la conscience de l'enfant. Or, la conscience a ses lois propres qu'il faut connaître pour pouvoir les modifier, si, du moins, on veut s'épargner, autant que possible, les tâtonnements empiriques que la pédagogie a précisément pour objet de réduire au minimum. Pour pouvoir exciter l'activité à se développer dans une certaine direction, encore faut-il savoir quels sont les ressorts qui la meuvent et quelle est leur nature ; car c'est à cette condition qu'il sera possible d'y appliquer, en connaissance de cause, l'action qui convient. S'agit-il, par exemple, d'éveiller ou l'amour de la patrie ou le sens de l'humanité ? Nous saurons d'autant mieux tourner la sensibilité morale des élèves dans l'un ou l'autre sens que nous aurons des notions plus complètes et plus précises sur l'ensemble des phénomènes que l'on appelle tendances, habitudes, désirs, émotions, etc., sur les conditions diverses dont ils dépendent, sur la forme qu'ils présentent chez l'enfant. (2)
3. Nous allons envisager le socialisme comme une chose, comme une réalité, et nous tâcherons de la comprendre. Nous nous efforcerons de déterminer en quoi il consiste, quand il a commencé, par quelles transformations il a passé et ce qui a déterminé ces transformations. Une recherche de ce genre ne diffère donc pas sensiblement de celles que nous avons faites les années précédentes. Nous allons étudier le socialisme comme nous avons fait pour le suicide, la famille, le mariage, le crime, la peine, la responsabilité et la religion. Toute la différence, c'est que nous allons nous trouver cette fois en présence d'un fait social qui, étant tout récent, n'a encore qu'un développement très court. Il en résulte que le champ des comparaisons possibles est très restreint, ce qui rend le phénomène plus difficile à bien connaître, d'autant plus qu'il est très complexe. (3)
4. Nous voyons […] à quel point l'homme et partant les sociétés formées par les agglomérations humaines, dépendent des milieux où ils vivent. Ces milieux ont créé leurs idées et leurs besoins, et furent les causes premières des civilisations diverses qui se sont développées à la surface de notre planète. Leur influence a varié suivant les époques où elle s'est manifestée. Elle s'est montrée d'autant plus puissante que l'homme pouvait moins s'y soustraire, et il put d'autant moins s'y soustraire qu'il fut moins élevé sur l'échelle de la civilisation. (4)
5. L'instinct est plus puissant et même plus éclairé dans les animaux que dans l'homme. Il l'est d'autant moins que l'intelligence s'exerce davantage, car chaque organe a une faculté de sentir limitée qui ne peut être reculée qu'aux dépens des autres, puisque l'être sensitif n'est capable que d'une certaine somme d'attention qui cesse de se diriger d'un côté quand elle est absorbée de l'autre. (5)
6. Dans les tribus primitives, les vieillards sont les gardiens des traditions, non seulement parce qu'ils les ont reçues plus tôt que les autres, mais aussi sans doute parce qu'ils disposent seuls du loisir nécessaire pour en fixer les détails au cours d'entretiens avec les autres vieillards, et pour les enseigner aux jeunes gens à partir de l'initiation. Dans nos sociétés aussi on estime un vieillard en raison de ce qu'ayant longtemps vécu il a beaucoup d'expérience et est chargé de souvenirs. Comment dès lors les hommes âgés ne s'intéresseraient-ils point passionnément à ce passé, trésor commun dont ils sont constitués dépositaires, et ne s'efforceraient-ils pas de remplir en pleine conscience la fonction qui leur confère le seul prestige auquel ils puissent désormais prétendre ? Certes, nous ne contestons pas qu'il y ait, pour un homme parvenu au terme de la vie, une douceur, accompagnée d'un peu d'amertume et de regrets, mais d'autant plus pénétrante qu'il s'y mêle l'illusion d'échapper aux atteintes du temps et de reconquérir par l'imagination ce que la réalité ne peut plus donner, à se rappeler ce qu'on a été, les joies et les peines, les gens et les choses qui furent une partie de nous-mêmes. Mais ce genre de satisfaction, d'illusion et de transfiguration, tous en sont capables, quel que soit leur âge, et ce ne sont pas seulement les vieillards qui ont besoin de temps en temps de ce refuge qu'offre le souvenir. (6)
7. La religion s'est adaptée aux variations saisonnières, elle a déroulé le drame de la vie chrétienne dans le cadre de l'année profane, mais elle s'est efforcée en même temps d'entraîner dans le courant de sa pensée propre et d'organiser suivant son rythme les représentations collectives du cours et des divisions du temps. D'autre part, la religion chrétienne n'a jamais envisagé l'ordre de la nature matérielle que comme le symbole d'un ordre caché et d'une autre nature. La science humaine et toutes ses notions ne se distinguent pas pour elle essentiellement des autres démarches de la pensée profane : elle demeure à ses yeux incertaine et changeante : elle est soumise à la loi du temps : la nécessité qu'elle nous découvre dans les choses est toute relative à notre connaissance imparfaite. Les vérités religieuses seules sont définitives et immuables. Il n'y a, en somme, aucun intermédiaire, aucun moyen terme entre ce qui est donné une fois pour toutes, et ce qui n'existe ou n'est vrai que pour une époque, et il n'y a que la pensée sociale d'une époque privilégiée, et du groupe qui se borne à la conserver et la reproduire, qui puisse s'opposer, par ce caractère de fixité, aux pensées sociales éphémères de toutes les autres époques ou des autres groupes. Si tel est bien l'objet de la religion, si elle vise à conserver intact, à travers les temps, le souvenir d'une époque ancienne, sans aucun mélange de souvenirs ultérieurs, il faut s'attendre à ce qu'aussi bien le dogme que le rite reçoivent de siècle en siècle des formes plus arrêtées, afin de résister mieux aux influences du dehors, d'autant plus dangereuses que la différence augmente entre le groupe religieux et tous les autres. (6)
8. […] les dogmatiques ne se préoccupent pas de « revivre » le passé, mais de se conformer à son enseignement, c'est-à-dire à tout ce qu'on en peut conserver, reconstituer et comprendre aujourd'hui. Le passé ne peut pas renaître, mais on peut se faire une idée de ce qu'il a été, et on y réussit d'autant mieux qu'on dispose de points de repère bien établis, et aussi que l'élément du passé auquel on pense a donné lieu à un plus grand nombre de réflexions, qu'un plus grand nombre de séries de pensées s'y sont croisées, et nous aident à en restituer certains aspects. (6)
9. Il n'est point de pensée religieuse qu'on ne puisse comprendre, comme une idée, et qui ne soit pas faite en même temps d'une série de souvenirs concrets, images d'événements ou de personnes qu'on peut localiser dans l'espace et le temps. Ce qui prouve qu'il ne s'agit point là de deux sortes d'éléments, les uns intellectuels, les autres sensibles, plaqués en quelque sorte les uns sur les autres, ou insérés les uns dans les autres, c'est que la substance du dogme s'accroît de tout ce qu'y introduit la mystique, c'est que l'expérience du mystique s'aiguise d'autant plus, et se présente sous une forme d'autant plus personnelle, qu'elle se pénètre de vues dogmatiques. C'est la même substance qui circule dans la mystique et dans le dogme. Les pensées religieuses sont des images concrètes qui ont la force impérative et la généralité des idées, ou, si l'on veut, des idées qui représentent des personnes et des événements uniques. (6)
10. Il n'y a pas de vie ni de pensée sociale concevable sans un ou plusieurs systèmes de conventions. Quand nous passons du rêve à la veille, ou inversement, il nous semble que nous entrons dans un monde nouveau. Non que nous percevions dans l'un, des objets d'une autre nature apparente que dans l'autre : mais ces objets ne prennent point place dans les mêmes cadres. Les cadres du rêve sont déterminés par les images mêmes qui s'y disposent. En dehors d'elles, envisagés en eux-mêmes, ils n'ont aucune réalité, aucune fixité. En quelle partie de l'espace réel et du temps réel sommes-nous, lorsque nous rêvons ? Quand bien même il nous semble que nous sommes en un endroit familier, nous ne nous étonnons point de nous trouver transportés brusquement très loin de là. Les cadres du rêve n'ont rien de commun avec ceux de la veille. Au reste, ils ne valent que pour nous : ils ne limitent point notre fantaisie. Quand nos imaginations changent, nous les modifions eux-mêmes. Au contraire, lorsque nous sommes éveillés, le temps, l'espace, l'ordre des événements physiques et sociaux, tel qu'il est reconnu et fixé par les hommes de notre groupe, s'impose à nous. De là un « sentiment de réalité » qui s'oppose à ce que nous rêvions encore, mais qui est le point de départ de tous nos actes de mémoire. On ne peut se souvenir qu'à condition de retrouver, dans les cadres de la mémoire collective, la place des événements passés qui nous intéressent. Un souvenir est d'autant plus riche qu'il reparaît au point de rencontre d'un plus grand nombre de ces cadres qui, en effet, s'entrecroisent, et se recouvrent l'un l'autre en partie. L'oubli s'explique par la disparition de ces cadres ou d'une partie d'entre eux, que notre attention ne soit pas capable de se fixer sur eux, ou qu'elle soit fixée ailleurs (la distraction n'est souvent que la conséquence d'un effort d'attention, et l'oubli résulte presque toujours d'une distraction). Mais l'oubli, ou la déformation de certains de nos souvenirs, s'explique aussi par le fait que ces cadres changent d'une période à l'autre. La société, suivant les circonstances, et suivant les temps, se représente de diverses manières le passé : elle modifie ses conventions. Comme chacun de ses membres se plie à ces conventions, il infléchit ses souvenirs dans le sens même où évolue la mémoire collective. (6)
11. […] il y a bien un cas où l'homme se confond avec les images qu'il se représente, c'est-à-dire croit vivre ce qu'il imagine tout seul : mais c'est le seul moment aussi où il ne soit plus capable de se souvenir : c'est quand il rêve. Au contraire, il se souvient d'autant mieux, il reproduit son passé sous des formes d'autant plus précises et concrètes qu'il distingue mieux le passé du présent, c'est-à-dire qu'il est lui-même dans le présent, qu'il a l'esprit tourné vers les objets extérieurs et vers les autres hommes, c'est-à-dire qu'il sort de lui. Il n'y a donc pas de souvenir sans perception. Ainsi, dès qu'on replace les hommes dans la société, il n'est plus possible de distinguer deux sortes d'observations, l'une extérieure, l'autre intérieure. (6)
(1) Durkheim E., 1912, Les formes élémentaires de la vie religieuse. (2) Durkheim E., 1922, Éducation et sociologie. (3) Durkheim E., 1928, Le socialisme. (4) Le Bon G., 1881, L'homme et les sociétés. Leurs origines et leur développement. (5) Picavet F., 1891, Les idéologues. (6) Halbwachs M., 1925, Les cadres sociaux de la mémoire.
|