| EXERCICE 15, UNITÉ III 1.3. Les marqueurs de cause à valeur explicative
CONSIGNE 1. Quels sont les extraits dans lesquels du fait que ou du fait de ne sont pas des marqueurs de cause à valeur explicative ? 2. Dans les exemples 3 et 4, du fait que est placé en tête de phrase, car le fait a déjà été énoncé. Relevez le passage que reprend du fait de.
1. Les Américains utilisent peu d'options (de catégories) à un niveau de profondeur donnée : principalement deux, oui ou non, blanc ou noir, A ou B. Puis ils font usage à nouveau de peu d'options au niveau du dessous, A1 ou A2, B1 ou B2, etc. Les choix proposés sont donc simples à chaque niveau, et, comme le nombre de niveaux est lui-même peu élevé, c'est par la réutilisation systématique de catégories qui ont fait leurs preuves qu'ils arrivent, au final, à couvrir quand même une assez grande variété de cas, mais au prix d'une approximation faite à chaque fois qu'ils forcent la réalité à rentrer dans une catégorie préexistante (ou créée pour l'occasion, mais ensuite aussitôt réutilisable – par soi-même ou par d'autres – comme normalisée). De telles catégories tirent leur légitimité du fait que leur usage permet d'aller plus efficacement vers l'action. (1)
2. Le tatouage n'est pas du tout vécu de la même façon dans les deux pays [en France et aux Etats-Unis]. Pour un Français, c'est une modification de l'être ; il fait intrinsèquement partie de soi, à tel point que des consultations psychologiques de détatouage ont été organisées, du fait de l'altération significative du schéma corporel que cette intention révèle. Pour un Américain, le tatouage n'est qu'un objet qui se trouve être sur soi, objet qui se trouve avoir certaines caractéristiques dont celle d'être inamovible, mais sans plus. Par extension, on comprendra que le maquillage est vécu différemment dans les deux cultures, touche apportée à l'essence ou simple élément d'une panoplie.
3. La mère française présente toutes les apparences de la réalisation d'un sevrage précoce. […] Mais en réalité, cette apparence d'indépendance cache un attachement excessif de la mère envers son enfant, qui va se manifester par le maintien d'un contrôle constant sur le comportement du petit (et ensuite du grand, avec des problèmes accrus de ce fait lors de l'adolescence). La mère française s'agrippe d'autant plus à l'enfant qu'il est envoyé plus tôt à la crèche ou à l'école. […] Le Français oscille entre une forte distance critique à l'égard d'autrui et un flou sur la frontière interindividuelle. Il se perçoit ou bien comme totalement étranger – presque hostile – ou bien comme étroitement imbriqué avec autrui, qu'il s'agisse de la famille, de l'équipe, de l'entreprise ou de la nation. Assez notablement pour un peuple à la pensée plutôt binaire, les Américains, par la conscience claire de leur identité individuée, ne font à l'autre ni cet excès d'honneur ni cette indignité. Du fait de son incomplet sevrage, le Français déplace sa frontière personnelle floue d'avec la mère vers les autres individus et vers les institutions, en une interpénétration où chacun séduit, cajole, possède, évite, combat, critique, régit et obéit à une part de l'autre.
4. En France, les enfants sont vus par les adultes comme n'étant « que » des enfants. Les adultes considèrent a priori qu'un enfant n'est pas bien tel qu'il est, et qu'il convient de le modeler. Les enfants intériorisent peu à peu les critiques constantes qu'ils reçoivent des adultes, ce qui finit par saper leur confiance en soi et leur naturel. Cela passe invariablement par une période de confusion chez le jeune enfant, qui est rarement diagnostiquée pour ce qu'elle est – cela fait partie de ces choses que l'on ne voit pas de l'intérieur d'une culture. […] Du fait de la critique constante à laquelle est soumis l'enfant français au foyer et à l'école, plus de cent mille fois avant l'âge adulte, le noyau central de sa personnalité, le self, est construit sur le doute et on pourrait le décrire comme relativement poreux. Cela le conduit à se protéger des attaques extérieures par une carapace attitudinale, relationnelle et corporelle, qui lui donne en quelque sorte la peau dure.
5. La mère française régit son enfant et prend les décisions à sa place, le forçant à se comporter d'une certaine manière, qui lui convient à elle, indépendamment du fait que l'enfant y soit disposé ou non.
6. Pour l'Américain, la loi fonde le contrat. Dans la mesure où il n'a nullement la fibre rebelle, il se considère engagé par l'obligation édictée par la loi, y compris à son encontre. Le Français, auquel la relation de sujétion est insupportable du fait de blessures passées que la Révolution n'a pas permis de cicatriser, est irréductiblement opposé à l'application de la loi à son encontre ou à l'encontre de son groupe d'appartenance. Aussi, aux Etats-Unis, les lois sont-elles faites pour être appliquées, ce qui surprend toujours les Français… En France, la loi n'est qu'une gesticulation tout au plus bonne pour les autres. On dira pudiquement qu'elle tire son importance principalement de sa valeur de signe.
7. Les Français cultivent l'illusion d'être omnipotents du fait de leur intelligence ; pour autant, il leur est très difficile de comprendre de l'extérieur à quel point ce qu'ils appellent de façon critique le juridisme américain, parce qu'ils redouteraient qu'il s'appliquât à eux, est en fait, outre-Atlantique, une façon normale de penser. Lorsqu'un Américain rencontre un interlocuteur, il a d'abord à l'esprit la situation de droit dans laquelle ils se trouvent tous deux. Ce n'est à l'évidence pas la première pensée d'un Français que de se demander avant toute chose quel droit s'applique.
8. Dans cette culture monochrome, c'est-à-dire où l'on ne fait qu'une seule chose à la fois, le process est séquentiel : on définit d'abord ce que l'on va faire, et seulement ensuite applique-t-on ce qu'on a décidé. Les Américains ont beaucoup de difficultés quand il faut définir ou modifier le process en cours d'exécution, alors que c'est la norme pour les Français. Par exemple lors de l'affaire Clinton-Lewinsky le Sénat devait, du fait de sa nouveauté et de son importance, déterminer la marche à suivre et l'appliquer en même temps, et fut très mal à l'aise dans cette situation. Les Américains sont littéralement obsédés par le process et essayent d'en définir un dans toute situation, simple ou complexe. Le process est relativement rigide une fois défini, et ne pourra normalement être modifié qu'en appliquant un nouveau process… de modification.
9. Dans De la Démocratie en Amérique, livre toujours actuel du fait du génie perspicace de Tocqueville, et parce que les fondamentaux de la culture américaine sont restés les mêmes depuis plus de deux siècles, on peut lire : « À chaque instant, le serviteur peut devenir maître et aspire à le devenir ; le serviteur n'est donc pas un autre homme que le maître. Pourquoi donc le premier a-t-il le droit de commander et qu'est-ce qui force le second à obéir ? L'accord momentané et libre de leurs deux volontés. Naturellement ils ne sont point inférieurs l'un à l'autre, ils ne le deviennent momentanément que par l'effet du contrat. Dans les limites de ce contrat, l'un est le serviteur et l'autre le maître ; en dehors, ce sont deux citoyens, deux hommes. […] Au fond de leur âme, le maître et le serviteur n'aperçoivent plus entre eux de dissemblance profonde, et ils n'espèrent ni ne redoutent d'en rencontrer jamais. Ils sont donc sans mépris et sans colère, et ils ne se trouvent ni humbles ni fiers en se regardant. Le maître juge que dans le contrat est la seule origine de son pouvoir, et le serviteur y découvre la seule cause de son obéissance. Ils ne se disputent point entre eux sur la position réciproque qu'ils occupent ; mais chacun voit aisément la sienne et s'y tient. […] De leur côté, les maîtres n'exigent de leurs serviteurs que la fidèle et rigoureuse exécution du contrat ; ils ne demandent pas des respects ; ils ne réclament pas leur amour ni leur dévouement ; il leur suffit de les trouver ponctuels et honnêtes. » Tout est dit, et dans quelle langue !
10. Les civilisations sont mortelles, même si le capital accumulé – de toute nature – rend le déclin suffisamment lent pour ne pas susciter de réflexes d'urgence lorsque la spirale descendante s'amorce. Il faut un certain temps d'abord pour que des éclaireurs s'en aperçoivent ; encore plus de temps pour qu'une masse critique l'admette, particulièrement pour les Français, fort portés au déni ; beaucoup de temps ensuite pour qu'un consensus se dégage sur les solutions, ce qui peut ne jamais arriver chez les Français du fait de leur penchant plus que millénaire pour la discorde, déjà noté par Jules César à propos des Gaulois.
11. Fréquents sont les cas d'immigrants de première génération aux Etats-Unis qui sont plus patriotes et même plus chauvins que les autochtones ; en France, on retrouve ce phénomène surtout au sein de la deuxième génération – peut-être du fait de la difficulté d'assimilation qu'elle a ressentie chez ses parents.
(1) Tous les passages sont extraits de Baudry P., 2007, Français et Américains, L'autre rive, Paris, Village Mondial / Pearson Ed., troisième édition.
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