| EXERCICE 7, UNITÉ III 1.2. Les marqueurs de cause à valeur justificative
CONSIGNE Précisez sur quoi reposent les justifications construites avec étant donné (que) : - A : justification qui s'appuie sur une information déjà énoncée dans le texte ; - B : justification qui s'appuie sur des faits présentés comme des évidences, des principes déjà énoncés ailleurs, auxquels on fait appel ; - C : justification qui appartient à un raisonnement dans lequel on part de données que l'on énonce pour en tirer des conclusions.
1. Depuis Platon et sa République, il n'a pas manqué de penseurs qui aient philosophé sur la nature des sociétés. Mais jusqu'au commencement de ce siècle, la plupart de ces travaux étaient dominés par une idée qui empêchait radicalement la science sociale de se constituer. En effet, presque tous ces théoriciens de la politique voyaient dans la société une œuvre humaine, un fruit de l'art et de la réflexion. D'après eux, les hommes se sont mis à vivre ensemble parce qu'ils ont trouvé que c'était utile et bon ; c'est un artifice qu'ils ont imaginé pour améliorer un peu leur condition. Une nation ne serait donc pas un produit naturel, comme un organisme ou comme une plante qui naît, croît et se développe en vertu d'une nécessité interne ; mais elle ressemblerait plutôt à ces machines que font les hommes et dont toutes les parties sont assemblées d'après un plan préconçu. Si les cellules dont est fait le corps d'un animal adulte sont devenues ce qu'elles sont, c'est qu'il était dans leur nature de le devenir. Si elles se sont agrégées de telle façon, c'est que, étant donné le milieu ambiant, il leur était impossible de s'agréger d'une autre manière. Au contraire, les fragments de métal dont est faite une montre n'ont d'affinité spéciale ni pour telle forme, ni pour tel mode de combinaison. S'ils sont agencés ainsi plutôt qu'autrement, c'est que l'artiste l'a voulu. Ce n'est pas leur nature, mais sa volonté qui explique les changements qu'ils ont subis ; c'est lui qui les a disposés de la manière la plus conforme à ses desseins. (1)
2. Rousseau est aussi loin que possible d'admettre qu'une même forme puisse convenir à tous les pays : il établit expressément le contraire au chapitre VIII du livre III (Que toute forme de gouvernement n'est pas propre à tout pays). Mais d'un autre côté, ces différentes sortes de gouvernement satisfont inégalement aux conditions idéales de l'ordre social. Celui-ci sera d'autant plus parfait que le règne collectif reproduira plus complètement, mais sous des espèces entièrement nouvelles, les caractères essentiels du règne naturel. Or, les divers gouvernements répondent différemment à cette exigence fondamentale. Etant donné les lois qui unissent la nature du gouvernement à la nature de la société, la question peut se formuler ainsi : Quelles sont les limites normales de la société pour qu'elle soit une image transformée, mais aussi adéquate que possible, de l'état de nature ? (2)
3. Là où règne le finalisme, règne aussi une plus ou moins large contingence ; car il n'est pas de fins, et moins encore de moyens, qui s'imposent nécessairement à tous les hommes, même quand on les suppose placés dans les mêmes circonstances. Etant donné un même milieu, chaque individu, suivant son humeur, s'y adapte à sa manière qu'il préfère à toute autre. L'un cherchera à le changer pour le mettre en harmonie avec ses besoins ; l'autre aimera mieux se changer soi-même et modérer ses désirs, et, pour arriver à un même but, que de voies différentes peuvent être et sont effectivement suivies! Si donc il était vrai que le développement historique se fit en vue de fins clairement ou obscurément senties, les faits sociaux devraient présenter la plus infinie diversité et toute comparaison presque devrait se trouver impossible. Or c'est le contraire qui est la vérité. (3)
4. Il n'est […] pas impossible de concevoir la conscience morale autrement que comme une participation mystérieuse à un absolu suprasensible. On peut en comprendre le contenu, à un moment donné, comme un ensemble de faits sociaux, conditionnés par les autres faits sociaux en même temps qu'il agit sur eux à son tour. Etant donné le passé d'une certaine population, sa religion, ses sciences et ses arts, ses relations avec les populations voisines, son état économique général, sa morale est déterminée par cet ensemble de faits dont elle est fonction. A un état social entièrement défini correspond un système (plus ou moins harmonique) de règles morales entièrement définies, et un seul. C'est en ce sens que la morale grecque diffère de la morale moderne, et la morale chinoise des morales européennes.(4)
5. Pour nous, étant donné que les Trumaï sont des hommes, il est exclu, il est tout à fait impossible qu'ils passent les nuits au fond du fleuve, et c'est ici qu'apparaît la différence du rôle des concepts dans ces esprits et dans les nôtres. Les hommes sont des mammifères, comme tels ils respirent par des poumons, donc il est impossible qu'ils séjournent dans l'eau pendant des heures comme les poissons et les amphibies. Pourquoi impossible ? Parce que selon nous, il y a incompatibilité entre le concept de l'homme qui implique un certain appareil respiratoire, et le séjour prolongé dans l'eau. On ne peut pas affirmer à la fois que les Trumaï sont des hommes et qu'ils passent les nuits au fond de l'eau : c'est à la fois affirmer un concept et le nier. Si ce n'est pas une contradiction à proprement parler, c'est une incompatibilité intolérable. Ou il est faux que les Trumaï passent leurs nuits au fond du fleuve, ou ce ne sont pas des hommes. La force de ce dilemme, qui nous paraît ne pas admettre la discussion, lui vient du concept homme qui a la valeur d'une définition de chose. (5)
6. Le grand public même ne peut pas ignorer, et n'ignore pas, que la science, comme tout produit d'une opinion collective, est soumise à la mode. Les savants lui parlent assez souvent de théories démodées. Ce serait un scandale, si nous n'étions pas trop abrutis pour être sensibles à aucun scandale. Comment peut-on porter un respect religieux à une chose soumise à la mode ? Les nègres fétichistes nous sont bien supérieurs ; ils sont infiniment moins idolâtres que nous. Ils portent un respect religieux à un morceau de bois sculpté qui est beau, et auquel la beauté confère un caractère d'éternité. Nous souffrons réellement de la maladie d'idolâtrie ; elle est si profonde qu'elle ôte aux chrétiens la faculté du témoignage pour la vérité. Aucun dialogue de sourds ne peut approcher en force comique le débat de l'esprit moderne et de l'Église. Les incroyants choisissent pour en faire des arguments contre la foi chrétienne, au nom de l'esprit scientifique, des vérités qui constituent indirectement ou même directement des preuves manifestes de la foi. Les chrétiens ne s'en aperçoivent jamais, et ils s'efforcent faiblement, avec une mauvaise conscience, avec un manque affligeant de probité intellectuelle, de nier ces vérités. Leur aveuglement est le châtiment du crime d'idolâtrie. Non moins comique est l'embarras des adorateurs de l'idole quand ils souhaitent exprimer leur enthousiasme. Ils cherchent quoi louer, et ne trouvent pas. Il est facile de louer les applications ; seulement les applications, c'est la technique, ce n'est pas la science. Que louer dans la science elle-même ? Et plus précisément, étant donné que la science réside dans des hommes, que louer dans les savants ? Ce n'est pas facile à discerner. Quand on veut proposer un savant à l'admiration du public, on choisit toujours Pasteur, du moins en France. Il sert de couverture à l'idolâtrie de la science comme Jeanne d'Arc à l'idolâtrie nationaliste. (6)
7. […] le système mental d'un peuple est un système de forces définies qu'on ne peut ni déranger ni réarranger par voie de simples injonctions. Il tient, en effet, à la manière dont les éléments sociaux sont groupés et organisés. Etant donné un peuple, formé d'un certain nombre d'individus disposés d'une certaine façon, il en résulte un ensemble déterminé d'idées et de pratiques collectives, qui restent constantes tant que les conditions dont elles dépendent sont elles-mêmes identiques. En effet, selon que les parties dont il est composé sont plus ou moins nombreuses et ordonnées d'après tel ou tel plan, la nature de l'être collectif varie nécessairement et, par suite, ses manières de penser et d'agir ; mais on ne peut changer ces dernières qu'en le changeant lui-même et on ne peut le changer sans modifier sa constitution anatomique. (7)
8. Les dispositions criminelles apparaissent comme des produits de la protestation virile chez des personnes dont l'idéal compensateur implique le mépris de la vie, de la santé, des biens des autres hommes. Lorsque leur état d'insécurité subira une aggravation, lorsque leurs privations deviendront également trop graves, au point de menacer sérieusement leur sentiment de personnalité, ces personnes, après avoir cru trouver une compensation à leur infériorité dans une certaine exaltation affective, chercheront à se rapprocher de leur idéal de personnalité par le crime : elles n'auront qu'à suivre rigoureusement, les yeux fermés, leur ligne d'orientation, en envisageant la réalité d'un point de vue purement abstrait. Le docteur A. Jassny a fort bien mis en évidence ce mécanisme dans les crimes passionnels, dans les crimes habituels et dans les crimes par négligence, surtout chez les femmes criminelles. Nous devons ajouter qu'en se décidant pour le crime, le sujet prouve précisément la grande incertitude où il se trouve quant à la possibilité de son adaptation aux exigences sociales. Etant donné la grande place que les relations amoureuses occupent dans la vie humaine, l'avidité névrotique, le désir de tout avoir, interviennent régulièrement dans les rapports entre les sexes et y apportent une tendance perturbatrice, en obligeant l'homme et la femme à faire abstraction de la réalité et à se livrer à des démarches ayant pour but l'élévation du sentiment d'infériorité. Ce qui caractérise, en effet, le nerveux, c'est qu'il cherche sans cesse à atténuer son sentiment d'infériorité en faisant valoir par tous les moyens possibles sa supériorité. C'est pourquoi on exige de la personne aimée le renoncement complet à sa personnalité, sa fusion complète avec celui ou celle qui l'aime ; bref, celui qui aime veut faire de la personne aimée un moyen d'élévation de sa propre personnalité. L'amour vrai, libre de toute tendance névrotique, serait celui où chacun des deux amants laisserait l'autre affirmer pleinement sa personnalité, l'y aiderait même au besoin. Mais un amour pareil est fort rare. C'est précisément dans les rapports entre les sexes que la méfiance et l'égoïsme apparaissent avec un relief particulier et troublent à chaque instant l'intimité et l'abandon. Chacun des amants cherche à affirmer ses principes ; on dirait que chacun se trouve devant une énigme qu'il cherche à résoudre par tous les moyens. L'analyse révèle toujours dans ces cas que le sentiment d'infériorité fait naître chez chaque amant la crainte de succomber devant le partenaire et le pousse à affirmer sa supériorité. Il en résulte une lutte qui, au fond, est incompatible avec l'amour et le mariage, lesquels ont leur logique propre. La lutte pour la puissance ne peut agir sur eux que d'une façon dissolvante. (8)
(1) Durkheim E., 1888, Cours de science sociale, « Leçon d'ouverture », Revue internationale de l'enseignement. (2) Durkheim E., 1918, Le « Contrat Social » de Rousseau. (3) Durkheim E., 1894, Les règles de la méthode sociologique. (4) Levy-Bruhl L., 1903, La morale et la science des mœurs, Presses universitaires de France, Paris. (5) Levy-Bruhl L., 1949, Carnets, Presses universitaires de France, Paris. (6) Hertz R., 1928, Sociologie religieuse et folklore, Presses universitaires de France. (7) Weil S., 1949, L'enracinement, Gallimard, Paris. (8) Adler A., 1911, Le tempérament nerveux, Payot, Paris.
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